


Au premier plan, Francis Gaunand, président du directoire de Publihebdos. Ici aux côtés de Carole Gamelin et Benoît Canto, respectivement rédactrice en chef et chef de projet au sein d’Actu.fr.
Francis Gaunand, vous présidez le directoire de la société rennaise Publihebdos (842 salariés, 89 M€ de CA). Un groupe qui chapeaute une foule de titres de la presse hebdomadaire régionale. Et qui a réuni ses sites web sous une bannière commune – le site actu.fr – en 2017. Combien de médias alimentent aujourd’hui cette vaste plateforme ?
Francis Gaunand : La plateforme regroupe des contenus issus d’environ 80 titres de presse de Publihebdos. Auxquels s’ajoutent des médias appartenant à des entreprises de presse indépendantes, extérieures à notre groupe. Comme Le Haut-Anjou, La Dépêche de Tahiti ou encore le Métropolitain de Montpellier. Le site relaie le travail de 400 journalistes professionnels, dont une partie possèdent des compétences bimédias. En outre, actu.fr s’appuie aussi sur un « desk » spécifique de 18 personnes. Il s’agit d’un vrai site et non un agrégateur. On peut soit naviguer sur l’ensemble de la plateforme soit personnaliser son fil d’info. Par exemple, choisir une région, un département, une ville ou encore sélectionner un ou plusieurs médias qu’on souhaite suivre en particulier.
Actu.fr figure dans le top 10 des sites d’infos français. Avec 80 à 90 millions de visites par mois. Mais quand vous l’avez lancé en 2017, cette réussite n’avait rien d’évident….
Non… Je n’étais pas sûr de moi du tout ! (Sourire). Jusqu’alors, on avait lancé des sites web pour chacun de nos journaux. Toute une flottille de petits sites, qui prolongeaient les médias papiers. Tout cela a relativement bien fonctionné au début, avec quelques succès d’estime. Et nous a permis d’apprendre. Mais je me suis rendu compte que ça suffirait pas pour transformer notre modèle, pour acquérir une audience suffisante, ni pour obtenir des retombées économiques conséquentes via le numérique..
Certes, Publihebdos possédait des marques locales très fortes, mais pour vraiment percer sur le web, il fallait être suffisamment gros. Avoir une dimension nationale reconnue…
Voilà l’équation de départ. On a donc pivoté notre modèle à partir de 2016. Avec cette idée : conserver nos marques locales tout en s’alliant pour créer une marque nationale.
Réussir à basculer sur un modèle économique mixte papier-web qui soit viable. C’était cela l’enjeu?
Il fallait réussir la transition digitale. Avec des petits sites c’est compliqué, ne serait-ce que pour le référencement. Dès qu’on avait une belle histoire en local, inédite et susceptible d’intéresser une audience nationale…Impossible de défendre cette histoire-là avec un site local. Très vite le sujet était récupéré par les grands médias, qui faisaient leur audience avec, la monétisait, etc. Et, nous, nous regardions passer tout ça.
En somme il fallait une taille critique, pour avoir une visibilité sur le web et en tirer des revenus…
Absolument. Et dès la première année, on s’aperçoit que ça fonctionne. L’outil permet d’attirer de plus en plus de lecteurs, offre un plus fort impact aux infos qu’on publie depuis nos ancrages régionaux. On commence à dégager des revenus publicitaires plus importants, etc., etc.
Selon vous le regroupement des médias locaux s’impose ?
Je ne crois pas qu’un média hyper local soit en capacité de mener une transformation numérique d’ampleur. Les médias locaux doivent se regrouper pour bâtir leur avenir, sinon je crains qu’un certain nombre finisse par disparaître. C’est ma conviction.
Regardez par exemple aux Etats-Unis. Toutes proportions gardées bien sûr, car là-bas les médias régionaux sont beaucoup plus grands. Eh bien, on a vu des médias totalement disparaître ces dernières années… Parce qu’ils n’ont pas réussi à se regrouper et à opérer leur mutation numérique. Avec toutes les conséquences qu’on imagine pour la vie quotidienne et civique des populations. Avec des gens qui vont moins voter, etc. Car un média local joue un vrai rôle dans la communauté. C’est quand il disparaît qu’on s’en aperçoit.
Et face à ce risque, le modèle d’actu.fr a fonctionné et pourrait fonctionner en dehors de notre plateforme pour d’autres médias.
Vous pensez à quels types de médias?
Essentiellement à la presse généraliste hyper locale, papier ou web.
Se regrouper c’est aussi pouvoir investir dans des outils numériques communs…
Exactement. Les partenaires qui nous rejoignent n’ont pas d’investissement à faire. Ils bénéficient de nos outils. Comme notre CMS, hyper customisé et développé pour faciliter la vie des journalistes. Des outils de publications pour les réseaux sociaux, des outils pour la publicité, l’adserving …Et plus largement de notre savoir-faire en matière de monétisation.
« Les revenus liés au numérique financent un tiers des dépenses de nos rédactions et de nos équipes commerciales… Contre 5% en 2016 »
Comment avez-vous construit votre ligne éditoriale ?
Notre spécificité est de présenter l’information depuis les régions, avec des rédactions relativement autonomes en local. La plupart des sites d’infos dans le top 10 fonctionnent comme une toile d’araignée très centralisée, souvent depuis Paris… actu.fr chapeaute une centaine de rédactions dans toutes les régions, tous ces points sont reliés ensemble. Ce qui forme un réseau complètement différent.
Bien sûr, on suit le fil l’AFP (NDLR : c’est-à-dire l’Agence France Presse, qui couvre l’actualité mondiale) pour ne pas manquer des infos essentielles survenues en France dans la journée…Mais au-delà de cela, notre site veut présente autre chose, avec des infos sourcées localement, des belles histoires originales, insolites… Encore une fois, la stratégie de départ était bien de permettre aux contenus locaux, qu’on est parfois les seuls à raconter, de sortir de leur territoire d’origine pour aller toucher plus de lecteurs.
Peut-on rappeler le modèle économique d’actu.fr ?
Il repose sur une information gratuite, financée par la publicité. À la fois la publicité locale, nationale et la publicité programmatique… Par ailleurs, nous sommes habilités à publier des annonces légales. Enfin, une source de revenus liés aux droits voisins s’y ajoutera bientôt.
Peut-on donner un chiffre d’affaires concernant actu.fr ? Un article d’un de nos confrères évoquait des revenus publicitaires à hauteur de 6 millions d’euros en 2019…
Cet article n’était pas mal renseigné (sourire). Depuis 2019, trois années se sont écoulées…une éternité dans le digital !
Vous ne souhaitez pas communiquer de chiffre actuel ?
Non, je ne souhaite pas. En revanche, je peux dire que les revenus liés au numérique financent un tiers des dépenses des rédactions et des équipes commerciales de Publihebdos. Contre moins de 5% en 2016.
Pour remettre en perspective… En 2016, il fallait trouver une solution pour opérer cette mutation numérique et trouver un relais économique, pour continuer à réaliser notre mission : produire de l’information locale et financer nos rédactions en local. En sachant qu’on reste sur une tendance à la baisse des ventes des journaux papiers et des investissements publicitaires sur ce support. Il s’agit d’une tendance général à laquelle nous n’échappons pas.
Outre les retombées économiques, il y a donc aussi un impact en termes d’audience...
… Et c’est plus intéressant encore….Car on fait quand même ce métier pour être lu ! Jamais nous n’aurions pu acquérir cette audience sans actu.fr. L’audience pour un média c’est le nerf de la guerre. C’est grâce à cela qu’il est impactant, qu’il a de l’influence. En transmettant l’information au plus grand nombre, il assure sa mission. L’audience offre tout cela, au-delà des retombées publicitaires associées.
Quels sont vos prochains projets?
Notre transformation n’est pas terminée. La vente de contenus fera partie des prochains chantiers, entre autres. Tous les articles ne pourront pas être éternellement gratuits sur actu.fr Chronologiquement, il s’agissait d’abord d’acquérir une audience nationale. Et ça, on ne pouvait y arriver qu’avec cette stratégie d’information gratuite.
Un modèle par abonnement payant n’aurait pas fonctionné en hyper local?
Cela existe en presse quotidienne régionale aujourd’hui. Mais notre problématique était d’installer une nouvelle marque, qui n’existait pas jusqu’ici. Par ailleurs, obtenir une audience sur le web reste moins évident pour un format hebdomadaire que pour un quotidien. D’où le choix de notre formule.
Votre modèle a-t-il été adopté par d’autres médias.
Même s’il peut être dupliqué, ça reste un modèle assez unique aujourd’hui. Radio France pourrait s’en rapprocher actuellement, avec ses implantations en région via ses antennes France Bleu. Et sa volonté de créer aujourd’hui une plateforme web commune, où se retrouvent ses stations, avec donc des infos à la fois nationales et multi-locales.
Votre modèle, vous ne l’avez pas non plus copié, non plus, en vous inspirant de confrères français ou étrangers?
Non. C’est pour ça que c’était une aventure. Nous n’avions pas la certitude que ça fonctionnerait comme ça. Je le reconnais, bien humblement…
Propos recueillis par Florent Godard
Interview réalisée en marge du Festival de l’info locale , organisé du 21 au 23 septembre à Nantes. Festival qui accueillait notamment des représentants de Publihebdos pour une conférence sur le thème « Jusqu’où ira Actu.fr ? »